Saint-Nicolas-de-Port est bien plus qu’une simple ville de Lorraine ; c’est le cœur battant d’une tradition millénaire, un sanctuaire né d’une victoire militaire et le gardien de la plus célèbre relique du saint patron des enfants, ce qui en fait l’épicentre historique et spirituel des célébrations de la Saint-Nicolas dans tout le Grand Est.
Laissez-moi vous emmener. Pas juste pour une visite, mais pour un voyage dans le temps. Chaque année, lorsque les jours raccourcissent et que l’air se pique de givre, un nom résonne plus fort que les autres en Lorraine : Saint-Nicolas-de-Port. Ce n’est pas seulement une destination. C’est une émotion, un souvenir d’enfance, une promesse de pain d’épices et de lumières dans la nuit.
Pour comprendre cette ville, il faut remonter bien avant l’arrivée du célèbre saint.
Il faut imaginer une terre riche. Une terre où le sel, notre « Or Blanc », affleurait.
Nous sommes à l’époque gallo-romaine. La ville n’est alors que Portus, un nom qui évoque le passage, le commerce. Un péage, peut-être. Le sel est la monnaie, la richesse, la raison d’être de ce lieu stratégique au bord de la Meurthe. La vie est rythmée par les caravanes de marchands et le labeur des sauniers. Une histoire simple, presque banale.
Puis, tout a changé.
L’incroyable épopée d’une relique qui a fondé une légende
L’histoire de Saint-Nicolas-de-Port est indissociable d’un retour de croisade. Nous sommes en 1087. Un chevalier lorrain du nom d’Aubert de Varangéville se trouve à Bari, en Italie. Il assiste à la translation des reliques de Nicolas de Myre, fraîchement « empruntées » à leur lieu d’origine en Turquie actuelle. L’Europe entière est en émoi.
Aubert, pris par la ferveur, parvient à obtenir ce qui semble dérisoire.
Une phalange. Un simple os du doigt de l’évêque tant vénéré.
Il ramène ce trésor en Lorraine. Et c’est là que le miracle opère. Sur le chemin du retour, il décide de faire une pause dans son village de Port. La relique, posée sur l’autel de la petite église locale, devient impossible à déplacer. Un signe divin, interprètent les habitants. Le doigt de Saint-Nicolas a choisi sa nouvelle demeure. Port deviendra Saint-Nicolas-de-Port.
Ce récit, à mi-chemin entre l’histoire et la foi, transforme radicalement le destin de la bourgade. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Des pèlerins affluent. Des miracles sont rapportés. La petite église ne suffit plus. Un premier sanctuaire plus grand est érigé. La ville devient l’un des plus grands centres de pèlerinage de l’Europe médiévale, rivalisant avec les plus célèbres.
Imaginez un instant : une simple phalange a transformé un carrefour commercial en un phare spirituel pour des milliers de fidèles. Le pouvoir des reliques à cette époque était immense, capable de construire des cités et de forger des identités.
La Basilique : Un Vaisseau de Pierre Né de la Fureur d’une Bataille
Si vous visitez Saint-Nicolas-de-Port aujourd’hui, un édifice vous happe le regard. Il domine la ville, immense, presque démesuré pour une commune de cette taille. On la surnomme la « cathédrale des champs ». C’est la Basilique Saint-Nicolas. Son histoire est une épopée à elle seule, une histoire de survie, de promesse et de fierté lorraine.
Pour la comprendre, il faut se projeter au 5 janvier 1477.
Le froid est glacial. La neige recouvre la plaine sous les murs de Nancy. Le Duc de Lorraine, René II, fait face à l’une des armées les plus puissantes d’Europe, celle du Duc de Bourgogne, le redoutable Charles le Téméraire. L’enjeu est simple : la survie du duché de Lorraine.
René II, en infériorité numérique, se tourne vers le saint patron de sa terre. Il fait le vœu, s’il est victorieux, de bâtir à Saint-Nicolas-de-Port une église digne de sa grandeur. Contre toute attente, l’armée bourguignonne est écrasée. Charles le Téméraire est retrouvé mort, le corps à moitié dévoré par les loups dans un étang gelé. La Lorraine est sauvée.
René II a tenu sa promesse.
La construction de la basilique actuelle commence en 1481. C’est un chef-d’œuvre du gothique flamboyant, un style qui célèbre la lumière et l’élévation. Quand on y pénètre, on est saisi par la hauteur vertigineuse des voûtes et la clarté qui inonde la nef. Ses dimensions sont impressionnantes :
- Une longueur de plus de 70 mètres.
- Des voûtes qui culminent à 30 mètres de hauteur.
- Deux tours qui s’élèvent à 85 et 87 mètres.
Chaque pierre de cet édifice raconte la victoire de Nancy. Les vitraux, dont certains ont été réalisés par les plus grands maîtres verriers de l’époque, dépeignent la vie de Saint Nicolas et l’histoire de la Lorraine. C’est un livre d’images de pierre et de verre, un mémorial érigé à la gloire du duc et de son saint protecteur.
Procession et Défilé : Quand la Tradition Prend Vie
Aujourd’hui, en 2025, cette histoire n’est pas qu’une page dans un livre. Elle vit, elle vibre, chaque année au début du mois de décembre. C’est là que Saint-Nicolas-de-Port révèle sa véritable âme. Il faut bien distinguer deux événements majeurs, souvent confondus mais aux ambiances radicalement différentes.
La Procession Ancestrale aux Flambeaux
C’est le cœur spirituel de la célébration. Elle a lieu le samedi le plus proche du 6 décembre, jour de la Saint-Nicolas. À la tombée de la nuit, des milliers de personnes convergent vers la basilique. L’ambiance est au recueillement, à l’émerveillement.
La procession est un rituel immuable.
- Elle commence par l’entrée solennelle de Sire de Réchicourt, le chevalier qui, selon la légende, fut libéré des geôles sarrasines par l’intercession de Saint Nicolas.
- Vient ensuite l’évocation de la légende la plus célèbre : celle des trois petits enfants mis au saloir par un boucher maléfique et ressuscités par le saint évêque.
- Enfin, la statue et la relique du saint traversent la nef de la basilique, illuminée par des milliers de cierges et de flambeaux tenus par les fidèles. Les chants résonnent contre les hautes voûtes.
C’est un moment d’une intensité rare. Que l’on soit croyant ou non, on ne peut qu’être touché par la ferveur et la beauté de cette cérémonie qui se perpétue depuis le Moyen Âge. C’est l’histoire en marche.
Le Défilé Festif : La Joie dans les Rues
Si la procession est solennelle, le défilé, lui, est une explosion de joie populaire. Il a généralement lieu l’après-midi, avant la procession. Organisé avec passion par des associations locales comme la MAPEJE, il met les enfants à l’honneur.
Des dizaines de chars, décorés avec une créativité débordante par les communes et les associations des alentours, parcourent les rues de la ville. On y voit des fanfares, des groupes de danseurs, des personnages de contes de fées, et bien sûr, le char de Saint Nicolas, majestueux, accompagné de son âne. Il distribue des friandises aux enfants sages, tandis que son acolyte, le Père Fouettard (le Hans Trapp alsacien ou le Houseker en Lorraine), menace gentiment les plus turbulents avec son martinet.
L’air sent le vin chaud et le pain d’épices. C’est une fête familiale, un moment de partage qui réchauffe les cœurs en plein hiver.
Pour y voir plus clair, voici un petit résumé :
Caractéristique | Procession aux Flambeaux | Défilé de la Saint-Nicolas |
---|---|---|
Lieu | Principalement à l’intérieur de la Basilique | Dans les rues de la ville |
Ambiance | Solennelle, spirituelle, recueillie | Festive, joyeuse, familiale |
Moment | En soirée, à la lueur des flambeaux | En après-midi |
Acteurs principaux | Le clergé, les porteurs de la relique, les fidèles | Saint Nicolas, Père Fouettard, enfants sur les chars, associations |
Pourquoi Saint-Nicolas-de-Port et pas Ailleurs ?
La question est légitime. La Saint-Nicolas est célébrée partout dans le Grand Est, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne… Alors, pourquoi ce petit bout de Lorraine est-il devenu le lieu emblématique ?
La réponse tient en trois mots : la relique, la bataille, la persistance.
C’est la présence de cette fameuse phalange qui a tout déclenché. Sans elle, pas de pèlerinage d’envergure. Sans pèlerinage, pas de richesse pour construire une basilique aussi monumentale.
C’est la victoire de Nancy qui a scellé le pacte entre la Lorraine et son saint patron. René II a fait de Saint Nicolas le protecteur officiel du duché. La basilique est le témoignage en pierre de cette alliance indéfectible.
C’est enfin la persistance des Lorrains à maintenir cette tradition vivante, même quand elle était menacée. À la Révolution, la basilique fut transformée en temple de la Raison. Les pèlerinages furent interdits. Mais la foi et la tradition ont survécu, transmises de génération en génération. C’est cette résilience qui donne aujourd’hui une saveur si particulière aux festivités.
Venir à Saint-Nicolas-de-Port en décembre, ce n’est pas assister à un spectacle folklorique. C’est participer à l’aboutissement d’une histoire de presque mille ans. C’est sentir le poids de l’histoire et la chaleur d’une tradition qui refuse de s’éteindre.
Alors, la prochaine fois que vous croiserez Saint Nicolas sur son âne, vous saurez. Vous saurez que derrière le personnage bienveillant se cache l’écho d’une bataille sanglante, la ferveur de millions de pèlerins et l’incroyable destin d’une petite ville lorraine qui, grâce à un os de doigt, a touché à l’éternité. Et ça, aucune autre ville ne peut le revendiquer.
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