Saint-Nicolas : Démystifions la Légende, de la Turquie à Votre Cheminée
Chaque année, à l’approche du 6 décembre, une excitation particulière flotte dans l’air, surtout dans l’Est de la France, en Belgique ou aux Pays-Bas. On parle moins du Père Noël et plus d’un grand homme à la longue barbe blanche, vêtu d’une mitre et d’une crosse d’évêque. Il ne voyage pas en traîneau mais à dos d’âne. C’est Saint-Nicolas. Mais au-delà des pains d’épices et des clémentines, qui est-il vraiment ? D’où vient cette figure si familière et pourtant si mystérieuse ?
Saint-Nicolas, ou Nicolas de Myre, était un évêque grec du IIIe siècle dont la vie et la générosité l’ont inscrit au cœur de la foi chrétienne, où il est vénéré par les traditions catholiques et orthodoxes.
Voilà, c’est dit. Mais cette simple phrase est la pointe d’un iceberg immense, une histoire qui voyage de l’Anatolie antique aux rues pavées de Nancy, en passant par les Pays-Bas espagnols. Alors, prenez une tasse de chocolat chaud, je vous emmène sur les traces du véritable Saint-Nicolas.
Qui était Vraiment Nicolas de Myre ? Un Homme, pas un Mythe
Oubliez un instant l’image d’Épinal. Avant d’être le distributeur de cadeaux, Nicolas était un homme de chair et de sang. Et pas n’importe lequel.
Il est né vers 270 après J.-C. à Patare, en Lycie. Si vous sortez votre GPS aujourd’hui, cela vous mènera sur la côte sud de la Turquie actuelle. À cette époque, la région était profondément hellénistique. Nicolas était donc Grec, citoyen de l’Empire romain. Rien à voir avec un habitant du Pôle Nord.
Issu d’une famille chrétienne et fortunée, le destin de Nicolas bascule tragiquement lorsqu’il devient orphelin très jeune. Il hérite d’une richesse considérable, mais au lieu de la garder pour lui, il décide de suivre les préceptes de sa foi. Il va dédier sa vie et sa fortune aux autres. Son oncle, qui était évêque de Myre, le prend sous son aile et le forme. À la mort de ce dernier, c’est tout naturellement que le peuple et le clergé choisissent Nicolas pour lui succéder.
Il devient évêque de Myre.
Une ville portuaire animée.
Son rôle n’est pas de tout repos. C’était une période de persécution intense contre les chrétiens sous l’empereur Dioclétien. Nicolas a lui-même été emprisonné et torturé pour sa foi. Ce n’était pas un vieillard débonnaire distribuant des bonbons, mais un résistant, un pilier de sa communauté.
Ce qui frappe chez le Nicolas historique, c’est sa générosité concrète. Il ne se contentait pas de prêcher, il agissait. Chaque pièce de sa fortune a été utilisée pour aider les veuves, les orphelins, et tous ceux que la vie avait malmenés.
C’est cette générosité légendaire qui a donné naissance aux premières histoires. La plus célèbre est sans doute celle des trois jeunes filles. Un voisin, ruiné, ne pouvait offrir de dot à ses trois filles, les condamnant à une vie de misère ou de prostitution. Apprenant cela, Nicolas, agissant dans le plus grand secret, jeta par trois fois un sac d’or par la fenêtre de leur maison durant la nuit. Assez pour constituer une dot pour chacune.
Ce geste discret, anonyme, est la matrice de toute la tradition : un cadeau qui arrive mystérieusement dans la nuit, non pour la gloire du donateur, mais pour le bien du receveur.
La Légende la Plus Terrifiante : Le Boucher et les Trois Enfants
Si l’histoire de la dot est touchante, celle qui a scellé son statut de protecteur des enfants est beaucoup plus… sombre. C’est une histoire que l’on raconte en Lorraine avec un frisson dans le dos.
Imaginez la scène. Trois jeunes enfants, partis glaner dans les champs, se perdent à la tombée de la nuit. Ils frappent à la porte d’un boucher. L’homme, loin d’être accueillant, les tue, les découpe et les met dans son saloir pour en faire du petit salé.
(Oui, je sais, ça jette un froid.)
Sept ans plus tard, Saint-Nicolas passe par là.
Il demande l’hospitalité au même boucher.
Au moment du repas, il demande à l’homme de lui servir ce fameux petit salé qui est dans le saloir depuis sept ans. Le boucher, démasqué et terrifié, avoue son crime. Saint-Nicolas se lève alors, étend trois doigts au-dessus du tonneau et ressuscite les trois enfants, qui en sortent sains et saufs.
Cette légende, aussi macabre soit-elle, est fondamentale. Elle fait de Nicolas non seulement un bienfaiteur, mais un faiseur de miracles, un véritable saint protecteur capable de vaincre la mort elle-même pour sauver les plus innocents. C’est de là que vient son patronage quasi universel sur les enfants.
Le Casting Complet : L’Âne et le Père Fouettard
Saint-Nicolas ne voyage jamais seul. Il a une équipe, un peu comme un super-héros et ses acolytes.
- L’âne : Son fidèle destrier. Humble, patient et robuste, il porte les lourds sacs de cadeaux. C’est pour lui que les enfants laissent une carotte et un morceau de sucre dans leurs souliers. Je me suis toujours demandé ce que pensait cet âne. Des milliers de kilomètres chaque année, des carottes à foison… un travail saisonnier exigeant mais avec des avantages en nature.
- Le Père Fouettard : L’ombre de Saint-Nicolas. Vêtu de noir, le visage barbouillé de suie, il incarne la discipline. Son rôle est de punir les enfants qui n’ont pas été sages. Il tient un martinet (un petit fouet) ou un sac pour emporter les plus récalcitrants. Son origine est floue, mais une légende populaire dit qu’il serait le boucher de l’histoire des trois enfants, condamné à suivre le saint pour l’éternité en guise de pénitence. Il est l’archétype du « méchant » qui met en valeur la bonté du héros.
Ce duo représente les deux facettes de l’éducation de l’époque : la récompense et la punition. Saint-Nicolas est la lumière, le Père Fouettard est l’ombre. L’un ne va pas sans l’autre.
Un Saint Voyageur : Pourquoi Vit-il en Espagne ?
Alors, résumons. Nicolas est né en Turquie, il est Grec, mais dans certaines traditions, notamment en Belgique et aux Pays-Bas, on dit qu’il arrive chaque année sur un bateau à vapeur… d’Espagne.
Comment est-ce possible ?
La réponse est purement historique.
Au XVIe siècle, les Pays-Bas (qui incluaient alors la Belgique) étaient sous domination espagnole. L’Espagne était la superpuissance de l’époque. Les produits les plus exotiques et les plus désirables, comme les oranges et les clémentines, arrivaient des ports espagnols. Dans l’imaginaire collectif, tout ce qui était bon et précieux venait d’Espagne.
Il était donc logique que le grand saint, porteur des plus beaux cadeaux, vienne de ce pays lointain et prestigieux. La tradition a perduré, même après la fin de la domination espagnole. C’est un fascinant exemple de la manière dont l’histoire politique et commerciale façonne les légendes populaires.
Célébrations et Traditions : Plus qu’une Simple Distribution de Cadeaux
La Saint-Nicolas n’est pas juste un « pré-Noël ». C’est une fête à part entière avec ses propres rituels, qui varient d’une région à l’autre.
| Région/Pays | Traditions Spécifiques | Friandises Typiques |
| :— | :— | :— |
| Lorraine (France) | Grand défilé à Nancy, distribution de cadeaux dans les écoles. Les enfants déposent leurs souliers devant la cheminée. | Pain d’épices à l’effigie du saint, clémentines, chocolats. |
| Alsace (France) | Appelé « Nikolaus », il est souvent accompagné de Christkindel (l’enfant Jésus). | Mannele (petits bonshommes en brioche), springerle (biscuits à l’anis). |
| Belgique | Il passe dans la nuit du 5 au 6 décembre. Les enfants chantent des chansons et laissent une carotte pour l’âne et un verre de vin pour le saint. | Spéculoos, massepain, figurines en chocolat, nic-nac (lettres en biscuit). |
| Pays-Bas | « Sinterklaas » arrive en bateau à vapeur mi-novembre. La « Pakjesavond » (soirée des paquets) le 5 décembre est plus importante que Noël. | Pepernoten (petits biscuits épicés), kruidnoten, lettres en chocolat. |
| Allemagne | « Nikolaus » remplit les bottes (« Stiefel ») des enfants sages de friandises dans la nuit du 5 au 6. Il est souvent accompagné de « Knecht Ruprecht », l’équivalent du Père Fouettard. | Noix, pommes, Lebkuchen (pain d’épices). |
Ce qui est commun à toutes ces traditions, c’est l’attente, le rituel de la chaussure ou de la botte, et l’idée de récompense pour la sagesse de l’année écoulée. C’est aussi, curieusement, la fête des « vieux garçons », le pendant masculin de la Sainte-Catherine pour les jeunes filles à marier. Un détail souvent oublié !
De Saint-Nicolas au Père Noël : L’Incroyable Transformation
Vous l’aurez compris, le Père Noël est un descendant direct de Saint-Nicolas. Mais comment est-on passé d’un évêque turc à un gros bonhomme en costume rouge vivant au Pôle Nord ?
L’histoire se passe, encore une fois, de l’autre côté de l’Atlantique.
Au XVIIe siècle, les colons hollandais qui ont fondé la Nouvelle-Amsterdam (future New York) ont emporté avec eux leurs traditions, et notamment leur « Sinterklaas ».
Le nom, mal prononcé par les anglophones, s’est transformé en « Santa Claus ».
Le personnage a ensuite été complètement réinventé au XIXe siècle.
Deux œuvres ont été décisives :
- Le poème de Clement Clarke Moore (1823) : « A Visit from St. Nicholas » (plus connu sous le nom de « ‘Twas the Night Before Christmas ») décrit pour la première fois un personnage jovial et dodu, avec un traîneau tiré par huit rennes. Adieu l’évêque et son âne.
- Les dessins de Thomas Nast (à partir de 1863) : Le caricaturiste politique de l’hebdomadaire Harper’s Weekly a donné au Père Noël son apparence quasi définitive : un grand bonhomme barbu, ventru, avec un costume rouge bordé de fourrure blanche, vivant au Pôle Nord et tenant une liste des enfants sages et méchants.
La touche finale sera apportée par une célèbre marque de soda dans les années 1930, qui popularisera cette image dans le monde entier grâce à ses campagnes publicitaires. Le Père Noël moderne était né, éclipsant presque totalement son ancêtre européen dans de nombreuses cultures.
Saint-Nicolas en 2025 : Un Héritage Vivant
Alors, Saint-Nicolas est-il devenu obsolète ? Bien au contraire.
Dans un monde globalisé où la figure du Père Noël domine, célébrer la Saint-Nicolas, c’est préserver une identité régionale forte. C’est se reconnecter à une histoire plus profonde, plus authentique. C’est l’occasion de raconter à nos enfants une légende qui a du sens, celle d’un homme qui a réellement existé et dont la bonté a traversé près de 1700 ans.
C’est plus qu’une simple distribution de friandises. C’est un héritage de générosité.
Comment Célébrer une Saint-Nicolas Authentique Aujourd’hui ?
- Racontez l’histoire : Prenez le temps d’expliquer qui était Nicolas de Myre, au-delà de la légende du boucher. Parlez de sa générosité.
- Cuisinez en famille : Préparez des pains d’épices ou des Mannele. L’odeur des épices qui embaume la maison fait partie de la magie.
- Le rituel des souliers : Le soir du 5 décembre, faites briller vos chaussures et placez-les près de la cheminée ou de la porte. N’oubliez pas la carotte et le verre d’eau (ou de schnaps, selon la tradition locale !) pour l’âne et le saint.
- Chantez ! Apprenez une des chansons traditionnelles comme « Ô grand Saint-Nicolas, Patron des écoliers ». C’est un peu désuet, et c’est ça qui est bon.
- Pensez aux autres : Et si le meilleur moyen de célébrer Saint-Nicolas était de suivre son exemple ? Faire un don anonyme, offrir un peu de son temps à une association, aider un voisin… C’est peut-être ça, le véritable esprit du 6 décembre.
Finalement, que l’on croie aux miracles ou non, l’histoire de Saint-Nicolas nous rappelle une vérité simple : la générosité est un héritage qui ne meurt jamais. Il nous montre qu’un seul homme, par ses actes de bonté, peut laisser une empreinte si profonde qu’elle illumine encore nos hivers, des siècles et des siècles plus tard. Pas mal, pour un évêque né il y a presque deux millénaires sur les côtes de la Turquie.
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