le 6 décembre. Pour moi, cette date a une saveur particulière, un parfum de clémentine et de pain d’épices qui remonte à l’enfance. C’est plus qu’une simple case dans le calendrier de l’Avent ; c’est le jour où un grand monsieur à la mitre et à la crosse passe avant son cousin, le Père Noël, bien plus médiatisé. Mais qui est-il vraiment, ce Saint Nicolas ? Un ancêtre du Père Noël ? Un personnage de conte pour enfants sages ? Ou un homme qui a réellement existé ? Je vous propose de démêler le vrai du faux, l’histoire de la légende.
Saint Nicolas est à la fois un personnage historique, un évêque du IVe siècle né en Lycie (actuelle Turquie) connu pour sa générosité, et une figure légendaire, protecteur des enfants, dont les mythes ont inspiré la tradition du Père Noël.
Voilà, c’est dit. Mais cette simple phrase est la porte d’entrée vers un univers fascinant, un voyage qui nous mènera des côtes ensoleillées de la Turquie aux marchés de Noël de Lorraine. Accrochez-vous, on part sur les traces de l’un des saints les plus populaires et les plus complexes de l’histoire.
Qui était vraiment Nicolas de Myre ?
Oubliez la neige et les sapins. Pour rencontrer le véritable Nicolas, il faut remonter le temps jusqu’au IIIe siècle, sous le soleil de l’Asie Mineure. Notre homme s’appelle en réalité Nicolas de Myre, parfois confondu avec un autre Nicolas, celui de Sion. Il naît à Patara, en Lycie, une région qui fait aujourd’hui partie de la Turquie. On est loin du Pôle Nord, n’est-ce pas ?
Devenu évêque de la ville de Myre, il se forge une réputation d’homme d’une bonté et d’une générosité sans faille. Dans un monde où la foi chrétienne est encore fragile et parfois persécutée, il se dresse comme un protecteur des faibles, des veuves et surtout, des enfants. C’est un personnage de la religion orthodoxe, et son culte va prendre une ampleur considérable. Une des raisons ? Un miracle post-mortem assez… particulier. On raconte que de ses reliques suinte une huile miraculeuse, la « manne de saint Nicolas », que l’on récolte encore aujourd’hui. Ce fluide sacré a largement contribué à diffuser sa légende à travers l’Europe de l’Est et au-delà.
Le prénom Nicolas lui-même porte une promesse. Issu du grec Nikolaos, il combine nikê (victoire) et laos (peuple). Nicolas, c’est donc la « victoire du peuple ». Un nom prédestiné pour un homme qui allait devenir l’avocat des plus humbles. Il n’est pas le Nicolas diacre mentionné dans les Actes des Apôtres (fêté en juillet), mais bien un personnage historique à part entière, dont la vie a inspiré des récits qui dépassent de loin la simple biographie.
Les légendes qui ont bâti un mythe
Si l’homme a existé, c’est la légende qui l’a rendu immortel. Son histoire est un tissu de récits miraculeux, de contes transmis de génération en génération. Ce sont ces histoires qui ont façonné l’image que nous avons de lui aujourd’hui.
La plus célèbre : les trois petits enfants et le boucher
C’est sans doute son fait d’armes le plus connu, celui que l’on chante dans les cours d’école en Lorraine et en Alsace. L’histoire est plutôt sombre, je vous préviens.
Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs. Perdus à la tombée de la nuit, ils frappent à la porte d’un boucher. L’homme, loin d’être accueillant, les tue, les découpe en morceaux et les met dans son saloir pour les vendre comme du petit salé.
Sept ans plus tard, Saint Nicolas, passant par là, frappe à la même porte et demande à souper. Face au boucher qui lui propose toutes sortes de viandes, Nicolas insiste pour avoir du petit salé qui est dans le saloir depuis sept ans. Le boucher, démasqué, prend peur et avoue son crime. Saint Nicolas se dirige alors vers le tonneau, lève trois doigts, et ressuscite les trois enfants, sains et saufs.
Cette légende, un peu gore je vous l’accorde, a assis son statut de protecteur ultime des enfants. Le boucher, lui, deviendra dans le folklore son compagnon sombre et menaçant : le Père Fouettard.
Le sauveur des jeunes filles et des marins
Une autre histoire fondatrice est celle des trois jeunes filles. Un homme ruiné, incapable de fournir une dot à ses trois filles, s’apprêtait à les livrer à la prostitution pour survivre. Apprenant leur sort, Nicolas, agissant dans le plus grand secret, jette par la fenêtre de leur maison trois bourses remplies d’or, une pour chaque fille. Il le fait trois nuits de suite. Ce geste sauve leur honneur et leur avenir. Cet acte de générosité anonyme est probablement à l’origine de la tradition des cadeaux déposés en secret durant la nuit. Fait intéressant, cet épisode lui a aussi valu le titre, plus inattendu, de patron des prostituées, qu’il a en réalité sauvées de cette condition.
Les marins aussi le vénèrent. Une légende raconte qu’alors qu’il naviguait vers la Terre Sainte, une tempête terrible se leva. L’équipage, certain de périr, implora Nicolas. Par ses prières, il aurait apaisé les flots instantanément, sauvant navire et passagers. Depuis, il est le saint patron des navigateurs et des gens de mer.
Voici un petit aperçu de ses nombreux patronages :
- Les enfants (évidemment !)
- Les écoliers
- Les marins et bateliers
- Les avocats
- Les prisonniers
- Les célibataires
- La Lorraine, la Russie, et de nombreuses villes
On l’invoque aussi contre les rhumatismes ou la stérilité. Un saint polyvalent, en somme !
Sur les traces de Saint Nicolas : de la tombe aux reliques
Alors, où peut-on se recueillir sur la tombe de ce personnage historique ? La réponse est… compliquée. Son tombeau originel se trouverait bien dans l’église qui porte son nom dans la ville antique de Myre (aujourd’hui Demre), en Turquie. Des fouilles récentes, comme le rapporte le National Geographic
, continuent d’explorer les fondations de cette basilique, à la recherche de la sépulture exacte. Visiter ce lieu, c’est toucher du doigt l’origine méditerranéenne de la légende.
Mais l’histoire de ses ossements est une véritable épopée. Au XIe siècle, alors que la région tombe sous domination turque, des marins italiens de la ville de Bari, craignant pour la sécurité des reliques, organisent une expédition pour les « sauver ». En 1087, ils dérobent les ossements et les ramènent triomphalement à Bari, dans le sud de l’Italie. C’est pourquoi on l’appelle aussi Nicolas de Bari. Une magnifique basilique y est construite pour abriter les précieuses reliques, devenant un lieu de pèlerinage majeur entre l’Orient et l’Occident.
Et la France dans tout ça ? La Lorraine, en particulier, a un lien très fort avec le saint. En 1098, un chevalier lorrain du nom d’Aubert de Varangéville aurait rapporté de Bari une phalange du saint. Cette relique, connue comme le « doigt dextre bénissant », est conservée dans la basilique de Saint-Nicolas-de-Port, près de Nancy. C’est cet événement qui ancre profondément le culte de Saint Nicolas dans la région et en fait le saint patron de la Lorraine.
Du 6 décembre au Père Noël : une tradition bien vivante
La fête, célébrée le 6 décembre, jour anniversaire de sa mort en 343, est une explosion de joie dans de nombreuses régions d’Europe. Si en France, elle est surtout vivace dans le Grand Est (Alsace, Lorraine) et les Hauts-de-France, elle est une fête nationale dans d’autres pays.
En Belgique, aux Pays-Bas (Sinterklaas), au Luxembourg, en Allemagne (Sankt Nikolaus), en Autriche, en Suisse et dans une bonne partie de l’Europe de l’Est, le 6 décembre est le jour où les enfants découvrent leurs cadeaux. La tradition veut que Saint Nicolas, monté sur son âne (ou parfois un cheval blanc), passe dans la nuit du 5 au 6 pour déposer des friandises (chocolats, pains d’épices, clémentines) dans les souliers des enfants sages.
Mais il ne vient jamais seul… Il est accompagné de son antithèse, le Père Fouettard.
Saint Nicolas | Le Père Fouettard |
---|---|
Représente la bienveillance, la récompense. | Incarne la punition, la peur. |
Vêtu comme un évêque : mitre, crosse, longue barbe blanche. | Sombre, visage noirci de suie, porte un sac et un martinet (fouet). |
Donne des cadeaux et des friandises. | Menace de donner des coups de fouet ou d’emporter les enfants désobéissants dans son sac. |
Le bon juge qui connaît les actions de chaque enfant. | L’exécuteur des basses œuvres, le « méchant » de l’histoire. |
Ce duo symbolise parfaitement l’ancienne méthode éducative de la carotte et du bâton. Le Père Fouettard serait, selon la légende, le boucher repenti, condamné à suivre le saint pour l’éternité en guise de pénitence.
Et le Père Noël, alors ?
Le lien de parenté est direct. C’est la tradition néerlandaise de Sinterklaas qui a traversé l’Atlantique avec les colons au XVIIe siècle. À New York (alors la Nouvelle-Amsterdam), Sinterklaas s’est américanisé en « Santa Claus ». Au XIXe siècle, le poème « A Visit from St. Nicholas » (plus connu sous le nom de « The Night Before Christmas ») et les dessins de l’illustrateur Thomas Nast pour Coca-Cola ont fini de modeler son image : un personnage jovial et ventripotent, habillé de rouge et blanc, vivant au Pôle Nord et se déplaçant en traîneau tiré par des rennes.
Le Père Noël est donc une version laïcisée, commercialisée et américanisée de notre bon vieil évêque de Myre. Il a perdu sa mitre, sa crosse et son caractère religieux, mais il a conservé l’essentiel : la longue barbe blanche et la générosité envers les enfants.
Nicolas, un nom, un symbole
Au-delà de la fête, le nom de Nicolas résonne à travers les cultures. Comme nous l’avons vu, il signifie « victoire du peuple » en grec. Cette signification puissante a traversé les âges et les langues. En arabe, par exemple, le prénom se transcrit نيكولاس (Nīkūlās) et conserve cette même essence de triomphe populaire.
Même si un personnage nommé Nicolas Noël existe dans des contes modernes pour enfants au Québec, incarné par des artistes comme Louis-Charles Sylvestre, c’est bien l’évêque turc du IVe siècle qui reste la source de toutes ces histoires.
En 2025, alors que le monde change à une vitesse folle, la figure de Saint Nicolas nous rappelle quelque chose d’essentiel. Derrière le folklore, les légendes parfois effrayantes et les montagnes de chocolat, il y a l’histoire d’un homme qui a fait de la générosité le combat de sa vie. Il nous rappelle que les plus beaux cadeaux ne sont pas toujours ceux que l’on achète, mais ceux que l’on donne discrètement, pour aider, pour protéger, pour apporter un peu de lumière dans la nuit.
Alors, le 6 décembre, que vous soyez en Lorraine, en Belgique ou ailleurs, quand vous dégusterez un pain d’épices en forme de saint, ayez une pensée pour ce vieil évêque anatolien. Son histoire, tissée de vérité et de magie, continue de nous enseigner que la « victoire du peuple » passe peut-être, tout simplement, par un acte de bonté.
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